Aperçu de l'histoire des Quakers

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C’est l’Anglais George Fox, un mystique profondément chrétien, qui a rassemblé la Société religieuse des Amis (Quakers) en 1652. Puis ce mouvement a pris naissance en France en 1788 dans le Languedoc, à Congénies, près de Nîmes. D’abord rattachée à l’Assemblée des Quakers britanniques, l’Assemblée de France est devenue autonome en 1933, avec son siège au Centre Quaker International à Paris.

Nous sommes une association d’hommes et de femmes qui reconnaissons que la Lumière intérieure peut éclairer notre vie. Nos réunions de recueillement sont basées sur le silence en une communion invisible les uns avec les autres et avec une réalité spirituelle au-delà des mots, que nous pouvons appeler “ Lumière intérieure ”, ou “ Dieu ”. Pendant le recueillement, nous ne faisons pas de prières liturgiques, mais nous cherchons, dans le silence, l’expérience personnelle et collective de cette relation avec Dieu. Réunis dans le silence, nous pouvons recevoir des paroles inspirées sur le moment ou tirées de la Bible ou d’autres sources, ressenties comme pouvant contribuer au cheminement spirituel des individus ou du groupe. Pour nous, ce silence partagé remplace les sacrements visibles et les dogmes. Nous n’avons ni prêtres ni pasteurs, mais partageons entre nous à tour de rôle les responsabilités pastorales et administratives.

Nous admettons une grande variété de convictions et d’expressions que nous savons toujours imparfaites. Nous considérons tous Jésus comme un très grand maître, venu apporter non une religion, mais un témoignage, une vie de l’Esprit. C’est pourquoi nous attachons moins d’importance aux paroles qu’aux actes .Sans prétendre en être toujours pleinement capables, nous nous efforçons d’agir dans un esprit d’amour inconditionnel, de respect pour tous les humains, même ceux auxquels nous devons nous opposer résolument, de respect aussi pour toutes les formes de vie, pour toute la nature.

Cultivant l’amitié entre tous les peuples, nous refusons autant que possible de participer aux affrontements guerriers et soutenons des initiatives et expériences pacifiques alternatives à toute structure de domination ou d’exploitation, qu’elle soit économique, politique, sociale ou religieuse.

Nous voulons travailler dans un esprit de non-violence active, en solidarité avec les mouvements et les personnes animées d’un haut idéal de paix et de justice.

En France il y eut dans le Languedoc, aux 17ème et 18ème siècles, un groupe religieux indépendant, ayant un culte et des principes semblables à ceux des quakers ; quand leur existence fut connue des quakers anglais et après des visites satisfaisantes, le groupe fut accepté en 1788 par l’Assemblée annuelle de Londres de la Société religieuse des Amis (quakers) comme groupe tenant des réunions d’affaires tous les deux mois.

Ce groupe a prospéré pendant un siècle avec de nombreuses réunions de culte tenues régulièrement à Congénies et dans les environs. A la fin du 19ème, avec l’introduction du service militaire obligatoire, beaucoup des jeunes, foncièrement pacifistes, partirent à l’étranger ; les filles se marièrent avec des Protestants. Il y avait aussi à cette époque une forte évangélisation méthodiste dans la région. La Société diminua de plus en plus, et la dernière réunion d’affaires eut lieu en avril 1905.

Dans le Nord les quakers britanniques et américains ont beaucoup travaillé pour aider les populations sinistrées pendant et après les guerres de 1870 et de 1914-18.

C’est à partir de 1916 qu’un renouveau d’intérêt pour le quakerisme se manifesta en France, à Paris, et que, peu à peu, de nouveaux membres s’affilièrent à la Société des Amis britanniques, puisqu’il n’existait plus de branche française. A partir de 1920, des réunions d’affaires furent tenues de temps en temps, des réunions de culte ayant toujours eu lieu, depuis 1870, chez une Amie française habitant Paris, Justine Dalencourt, membre de la Société des Amis britanniques.

Pendant plusieurs décennies l’Assemblée de France et le Centre quaker de Paris eurent un destin parallèle et parfois commun.

Par ailleurs, nous sommes membres de :

Nous voyons une Europe qui tend vers la paix, la compassion, l'ouverture et la justice. Pleinement conscients des limites de notre compréhension, de la faiblesse de nos résolutions et de l'imperfection de notre contribution, nous poursuivons ces objectifs avec amour et compassion. Nous voyons l'Europe comme une communauté de peuples qui agit envers elle-même et d'autres peuples de la manière dont elle aimerait voir les autres peuples agir à son égard. Les génocides, l'esclavage et les nettoyages ethniques ont toujours existé. Nous, les Européens, les avons industrialisés ; nous en avons fait des instruments politiques et encourageons les adeptes de la sauvagerie à poursuivre dans cette voie. Nous voyons une Europe qui a trouvé une alternative à l'inévitable autodestruction de l'impérialisme. Le passé récent de l'Europe est fait d'une série hallucinante de tragédies engendrées par des ambitions d'expansion et des illusions de gloire. Nous reconnaissons et devons partager la difficulté de corriger les erreurs commises sur d'autres continents, vis-à-vis d'autres peuples. Nous tentons de détruire à jamais les mythes raciaux, égoïstes et imaginaires, jadis soutenus par une science pervertie, ainsi que par tous les nationalismes rivaux et les idéologies meurtrières qui ont tant marqué le siècle dernier. Nous reconnaissons et nous réjouissons de la diversité qui caractérise les peuples et les cultures du monde, et veillons à garantir le droit fondamental à l'intégrité culturelle. Nous voyons une Europe où le succès se mesure au nombre de conflits résolus de façon pacifique et équitable, et non par les guerres gagnées et la vengeance assouvie. L'Europe est un continent où l'on rencontre partout d'anciens cimetières militaires, généralement oubliés, et où de nouveaux voient le jour. Puissions-nous ne jamais oublier ces terribles accès de folie qui ont frappé des nations entières. Nous abhorrons et rejetons radicalement la guerre en tant que moyen destiné à résoudre un conflit international. La domination ne peut figurer au nombre de nos ambitions ; nous devons au contraire tendre vers l'harmonie, l'équité, la réconciliation et une prospérité partagée. Nous voyons une Europe dépouillée de toute arrogance, qui assume pleinement sa responsabilité et sa dépendance vis-à-vis de l'environnement et qui considère notre petite planète comme un écosystème, un système économique équitable, un espace de vie pour tout un chacun. Nous reconnaissons notre interdépendance et réalisons que notre succès dépend de celui du système mondial tout entier. Nous aspirons à vivre sur une planète restaurée et respectée. Nous rejetons une économie dont les acteurs doivent nécessairement être des exploiteurs et des exploités. Nous nous efforcerons de convertir en activités constructives ces parties de notre économie qui produisent les moyens de destruction. Nous voyons une Europe dont les gouvernements sont au service de leurs communautés, transcendent les intérêts privés et limités, et, guidés par une grande prudence et une grande sagesse, ont une vision du bien à long terme, c'est-à-dire une vision qui va au delà du prochain €, du prochain rapport annuel et des prochaines élections. Un gouvernement peut libérer, créer des opportunités, garantir la sécurité, apporter la règle de droit nécessaire à la civilisation, à toute relation humaine. Il peut nous protéger du chaos, de notre égoïsme et de notre manque de perspicacité. Si un gouvernement peut ne pas être capable de nous convaincre que le moteur de nos économies et de nos vies devrait être autre chose que notre avidité car il s'agit là d'un aspect que nous devons découvrir par nous-mêmes, il peut cependant atténuer les effets de cette avidité. Nous sommes intimement convaincus de ce qu'un gouvernement ne peut pas faire pour nous. Il ne peut donner un sens à nos vies, nous rendre heureux ou nous dispenser de la nécessité de faire nos propres choix dans les mondes dans lesquels nous vivons nos vies privées et publiques. Ce que la loi formelle n'interdit pas n'est pas nécessairement permis. Nous sommes également convaincus que les gouvernements peuvent souvent nous rendre malheureux et nous imposer des choix moraux que nous ne devrions pas avoir à faire. Les gouvernements et les structures sociales peuvent freiner dans leur évolution et inhiber notre âme, notre esprit et notre corps. La vie en communauté ne doit pas nous faire oublier la part de divin qui est en nous, ainsi qu'en chaque être. Nous voyons une Europe qui reconnaît le caractère sacré, fondamental et inaliénable de chaque individu. Notre loi doit être (et être vécue comme) libératrice et protectrice, et non répressive et spoliatrice. Les forts n'ont pas besoin d'une protection, mais d'un règlement ; les faibles ont besoin de lois pour pouvoir survivre. Nos lois doivent être au service de tous. Nous voyons une Europe prête à accueillir tous ceux venus y chercher un abri. Nous sommes un continent de réfugiés ; beaucoup d'entre nous et de nos familles ont dû fuir un jour. Si l'histoire est un indicateur, cela pourrait nous arriver à nouveau. Aussi, soyons sensibles à la situation de l'étranger arrivé en terre étrangère. Reconnaissons avec honnêteté et traitons avec prudence les problèmes que peuvent générer les flux de réfugiés et d'immigrants. Les nouveaux arrivés ne doivent pas être marginalisés, mais autorisés à s'intégrer dans nos communautés, comme nous l'avons fait. Nous voyons une Europe qui reconnaît et écoute tous les modes d'expression utilisés par ses citoyens. La liberté de religion et la liberté de s'associer à des fins politiques doivent être garanties et protégées. Le droit de s'associer est essentiel pour le bon fonctionnement d'une société. Les individus doivent pouvoir s'associer pour protéger leurs intérêts, de crainte d'être submergés par l'incroyable complexité du monde. Les associations qu'ils forment doivent toutefois aussi reconnaître aux autres le droit fondamental de s'associer et de jouer le jeu de la concurrence dans le respect d'un droit impartial. Nous devons accorder à autrui ce que nous réclamons pour nous-mêmes. Une religion organisée doit, elle aussi, finalement dépasser la tentation perpétuelle d'imposer plutôt que d'inviter, de contraindre plutôt que de convaincre. Nous voyons une Europe dotée de structures justes et équitables, une Europe gouvernée de façon transparente, une Europe au sein de laquelle le principe de subsidiarité donne fond et forme à la démocratie, où l'information est librement accessible, où les institutions et les individus sont comptables de leurs actions, où l'intégrité est récompensée. Nous savons qu'il n'existera jamais un système à ce point parfait que personne n'aura besoin d'être bon. Des décisions morales devront toujours être prises par des individus qui réaliseront que leur responsabilité personnelle ne peut jamais être déléguée à une organisation. Pour que la démocratie soit plus qu'une coquille vide, il faut que le citoyen puisse exercer son jugement. La liberté d'expression est un droit vidé de son sens s'il ne peut être exercé intelligemment sur la base d'une information adéquate. La vérité est aussi cruciale qu'elle est difficile à cerner. Les médias, dont la monopolisation par de grands conglomérats est véritablement inquiétante, et les organes d'information des gouvernements jouent  un  rôle  vital, qui doit faire l'objet d'une surveillance indépendante, de crainte que leurs efforts d'information ne dégénèrent en simple mission de relations publiques ou de propagande. Nous voyons une Europe dans laquelle les sociétés privées visent non seulement leur profit, mais tendent également à apporter leur contribution à la société qui permet ce profit. Elles ont une place légitime dans la société civile et doivent y participer à la mesure de leurs moyens, de leurs capacités et de leurs talents. Les sociétés commerciales ont une obligation vis-à-vis de la société qui établit la règle de droit qui leur permet de générer leurs bénéfices. Leur obligation ne consiste pas simplement à payer des impôts. La société est beaucoup plus qu'une arène d'exploitation : sa prospérité est la raison même de leur existence. Les sociétés ont, elles aussi, une obligation de justice, de com­passion et d'honnêteté en particulier vis-à-vis de leurs employés et de leurs actionnaires. Les êtres humains ne sont pas des marchandises, des ressources que l'on achète et vend, que l'on investit, que l'on use jusqu'à la corde et que l'on jette. Les produits et services que les sociétés commerciales vendent doivent non seulement pouvoir être vendus, mais également être dignes d'être vendus. Enfin, nous, les Quakers européens, voyons notre Europe en paix avec elle-même et avec tous les autres humains de notre très petite planète, et prenons à coeur le conseil que George Fox nous a donné en 1656 : "Soyez des modèles, des exemples dans tout pays, endroit, île, nation, où que vous passiez, que votre façon d'agir et votre vie prêchent parmi toutes sortes de gens ; alors vous pourrez marcher avec joie à travers le monde entier, répondant au divin en chacun."

George Fox (1624-1691), le fondateur du mouvement quaker, ayant séjourné à plusieurs reprises dans des prisons d’Angleterre, a protesté auprès des magistrats à propos des conditions de détention, de la corruption de la vie en prison et de la peine de mort. « Il a protesté contre la sévérité des lois applicables aux criminels. Les petits crimes, y compris le vol, étaient punissables de mort. De temps en temps, un de ses compagnons du donjon de Derby était amené pour être pendu. Son esprit a été tourmenté par de tels traitements qui, dit-il, ‘ m’ont incité à écrire aux juges concernant le fait qu’ils mettaient des hommes à mort pour des questions de bétail, d’argent, ou d’autres vétilles ; et pour leur montrer à quel point ceci est contraire aux lois de Dieu’[1].

Les Quakers eux-mêmes n’ont pas été condamnés à mort pour raison religieuse dans les îles britanniques, bien que certains soient morts en prison, condamnés de facto par les mauvais traitements, mais la loi elle-même ne les condamnait pas à la peine capitale .Cela se passait, par contre, en Amérique du Nord, dans le Massachusetts, où les Puritains votèrent des lois anti-quakers en 1656, 1657 et 1658. Mary Dyer, Marmaduke Stephenson, et William Robinson, furent pendus en 1659. William Leddra le fut en 1661. Les exécutions s’arrêtèrent là  car le roi Charles II Stuart envoya une missive depuis Londres, demandant à la colonie britannique de cesser de persécuter les Quakers (ou Amis), ou en tout cas d’arrêter les exécutions, ce qui fut le cas.

Mais les quakers eurent aussi des raisons philosophiques et théologiques de s’opposer aux exécutions capitales. Pour eux toute vie humaine est sacrée, et c’est là le fondement de leur objection de conscience avant la lettre depuis 1660, année où ils déclarèrent à Charles II leur refus de servir dans les guerres. En fait il y eut jusqu’à présent dans l’histoire des quakers  beaucoup plus de déclarations et d’engagement militant contre la guerre et contre l’esclavage des Noirs que contre la peine de mort. Le rejet de la peine de mort pour résoudre les problèmes de la société était une telle évidence, cela allait tellement de soi,  que relativement peu d’écrits furent consacrés à cette question.

 

Une avancée partielle et provisoire en Pennsylvanie.

 

Comme nous l’avons indiqué plus haut,  à l’époque où le mouvement quaker est né dans les îles britanniques (milieu du XVIIème siècle), la peine de mort était   appliquée à de nombreux délits. Lorsque William Penn fonda la Pennsylvanie en 1682, la grande loi de la Pennsylvanie  marqua une rupture avec la législation pénale en vigueur en Angleterre. Seuls la trahison et le meurtre pouvaient entraîner la peine de mort  dans cette nouvelle Province. Cette loi resta en vigueur  jusqu’en 1718. Mais cette année-là le gouvernement quaker de la Pennsylvanie négocia  l’exemption du serment pour exercer des charges publiques contre le retour à la loi anglaise en matière de peine capitale. Dans son livre Les Américains Daniel Boorstin leur reproche ce que l’on peut en effet qualifier de faiblesse. Il donne le commentaire suivant : « Ainsi, pour rester  ‘purs’  dans l’affaire du serment, les Quakers n’hésitèrent pas à mettre en jeu la vie d’hommes et de femmes qui, aux termes de la nouvelle loi, pouvaient être accusés d’une bonne demi-douzaine de délits sanctionnés par la peine de mort »[2]. Symboliquement, l’année 1718  fut l’année de la mort de William Penn en Angleterre. Le fondateur et propriétaire de la Pennsylvanie n’avait passé que quatre année dans sa Province, de 1682 à 1684, et de 1699 à 1701. Des problèmes politiques et des soucis de santé l’avaient empêché de rester plus longtemps, à son grand regret. Il avait eu le temps de jeter les fondations de la nouvelle société dont il rêvait, et la « Sainte Expérience » de la Pennsylvanie lui survécut jusqu’en 1756, mais elle se dégrada  progressivement  jusqu’au point de rupture que constitua la déclaration de guerre de la Pennsylvanie aux Français et aux Indiens. Avec la fin de la Sainte Expérience, la Pennsylvanie s’était banalisée en 1756, mais en ce qui concerne la peine de mort, la banalisation eut lieu dès 1718.

 

L’engagement des Amis depuis le XIXème siècle.

 

Les Amis se joignirent au mouvement abolitionniste contre la peine de mort physique tout au long de l’histoire des îles britanniques et des Etats-Unis, mais leur combat principal était celui de l’abolition de l’esclavage des Noirs, et de l’objection de conscience. Comme indiqué plus haut, leur opposition au châtiment capital allait de soi, mais fut relativement peu souvent formulée.

Il semble que la première prise de position de la Société des Amis en tant que telle ait été celle de l’Assemblée annuelle de Londres de 1818 :

« La terrible question de la peine de mort a profondément troublé nos esprits. Nous sommes convaincus que lorsque les préceptes et l’esprit de notre législateur et Seigneur auront complètement prévalu, on sera amené à abolir cette pratique »[3].

En 1868 John Bright écrivait :

« C’est dans le respect de la vie humaine que se trouve la véritable sécurité. Si la loi la considérait comme inviolable, alors le peuple commencerait à en faire autant. Pour prévenir ce crime, un profond respect de la vie humaine vaut mieux que mille exécutions capitales et c’est, en fait, la meilleure sauvegarde de la vie humaine. La loi qui applique la peine capitale, en prétendant préserver ce respect, tend en fait à la détruire » [4].

On sait que en Grande-Bretagne la peine de mort fut abolie en 1967, mais le débat s’était imposé depuis plusieurs années. Lors de l’Assemblée annuelle de Londres de 1956, le texte suivant fut adopté :

« Nous estimons de notre devoir de proclamer une fois de plus notre inébranlable opposition à la peine capitale. Le caractère sacré de la vie humaine est l’un des fondements de la société chrétienne, et ne peu en aucun cas être ignoré. Nous nous préoccupons donc de toutes les victimes de la violence , qu’il s’agisse  non seulement du meurtrier, mais aussi de tous ceux qui souffrent par sa faute. Si l’Etat sanctionne l’assassinat en en commettant un lui-même, l’effet sur la société est avilissant et tend à produire la violence qu’il cherche à empêcher. Nous savons que bien des gens sont sincèrement effrayés des conséquences qu’entraînerait l’abolition de la peine de mort, mais nous sommes convaincus que leurs craintes sont injustifiées[5] ».

Les quakers français se sont surtout concentrés sur les conditions d’incarcération. Henry van Etten, qui fut Secrétaire général de l’Assemblée de France de la Société religieuse des Amis de 1924 à 1946,  fut influencé par l’œuvre de la grande réformatrice quaker des prisons en Angleterre, Elisabeth Fry. Il commença en 1928 ses causeries aux détenus de Fresne et aux jeunes de la petite Roquette. Ces causeries se poursuivirent pendant dix ans, jusqu’à l’arrivée des Allemands en 1940. De 1938 à 1947, il fut rédacteur de la revue Pour l’enfance coupable, qui changea de nom et devint Sauvons l’enfance.

Pendant la Deuxième guerre mondiale, le Secours quaker essaya de soulager les souffrances des prisonniers des camps d’internement à Drancy, Pithiviers, Rivesaltes, entre autres. L’action commune avec d’autres Eglises et des organisations juives, sauva des enfants juifs de la condamnation à mort programmée pour eux par le régime nazi. Avant 1981, le Centre quaker de Paris prouva sa bonne disposition à l’égard de la suppression de la peine capitale, en hébergeant l’Association pour l’abolition de la peine de mort. La peine de mort ayant été abolie en France en  1981, cette association n’avait plus de raison d’être pour la France.

Lorsque la peine de mort fut abolie en Grande-Bretagne en 1967 l’île franco-anglaise de Jersey crut bon de faire preuve d’ « indépendance » en ne suivant pas la Grande-Bretagne sur ce plan et en restant alignée sur la position française. Les quakers de Jersey se sont émus de cette résistance au changement, et en ont informé les quakers français.[6]  Lorsque la peine de mort fut abolie  en France, Jersey  s’aligna enfin sur cette décision.

Mais le souci des Amis va bien au-delà de la question de la suppression programmée de la vie physique. Ils sont depuis le début concernés par la souffrance des « morts-vivants » que sont les prisonniers qui purgent de longues peines, ou qui sont incarcérés à perpétuité. L’Assemblée de France de la Société religieuse des Amis (Quakers) est membre de l’ACAT car elle veut lutter contre la torture, physique et morale. La torture morale infligée aux prisonniers du couloir de la mort aux Etats-Unis, et, en France, à ceux qui sont en prison préventive sans savoir pour combien de temps, lui sont une  préoccupation particulière.

La peine de mort physique ayant été abolie en Grande-Bretagne et en France dans la deuxième moitié du XX ème siècle, c’est sur les Etats-Unis que se sont concentrés les Amis lors des dernières décennies. Il existe même en Virginie, aux Etats-Unis, une revue nommée The Quaker abolitionist.

Le 15 février 1989 Martin Macpherson apporta le commentaire suivant pour le Comité consultatif mondial des Amis (Quakers) au sujet du rapport de la sous-commission pour la prévention de la discrimination et la protection des minorités à sa 40ème session :

« En tant que quakers, nous nous sentons concernés depuis fort longtemps par l’abolition de la peine de mort. Nous oeuvrons pour l’abolition de la peine capitale car celle-ci viole le caractère sacré de la vie humaine, et est en contradiction avec notre foi dans la capacité d’un individu à se transformer.

Nous avons l’espoir que tous les Etats finiront par adopter une position abolitionniste lorsqu’ils seront persuadés que la peine de mort est une punition inutile dans le cadre de leur législation. Un protocole facultatif permet à un Etat de prendre un engagement vis-à-vis de l’abolitions de la abolir la peine de mort ne se sentira pas obligé de ratifier un protocole qui n’est que facultatif. »peine de mort en ratifiant  un texte international. Bien évidemment, un Etat qui ne souhaite pas abolir la peine de mort ne se sentira pas obligé de ratifier un protocole qui n’est que facultatif. »

Ariane Herrmann, Amie française qui fut longtemps visiteuse de prison, nous donnait récemment le témoignage suivant : « Je me servirai d’une citation de Thomas Bernhard qui dit mieux qu e je ne pourrais le faire en quelques lignes l’idée forte qui m’a poursuivie durant les 15 ans au cours desquels j’ai visité la prison : « Nous nous reconnaissons en tout être humain, peu importe qui il est  et nous sommes condamnés à être chacun de ces être humains, tant que nous existons. Nous sommes toutes ces existences et tous ces existants ensemble, nous sommes à la recherche de nous-même et nous ne nous trouvons pourtant pas, si instamment que nous nous y efforcions. »

 

Abolition de la peine de vie et engagement au XXIème siècle.

 

Mais le témoignage des Amis contre la peine de mort revêt une dimension spirituelle au-delà de la vie ou de la mort physique. Tout le message du fondateur, George Fox, tend à  assimiler le désespoir à la mort, et  la révélation de la Lumière intérieure à la vie. Le passage le plus connu de son Journal est le suivant : « Je vis qu’il y avait un océan de ténèbres et de mort, mais aussi un océan infini de lumière et d’amour qui s’étendait au-dessus de l’océan de ténèbres, et j’avais de grandes révélations »[7]. En 1646 il fit ce commentaire sur  l’affirmation  selon laquelle tous les chrétiens sont des croyants, qu’ils soient protestants ou papistes : seuls étaient croyants ceux qui, nés de Dieu, étaient ainsi passés de la mort à la vie [8].  Pour George Fox, ceux qui n’ont pas eu la révélation du Christ intérieur vivent dans la peine de la mort car leur vie n’a pas été transfigurée.

Celui qui a reçu cette révélation pour lui-même ne peut que se mettre au service d’autrui pour témoigner de cette résurrection intérieure. C’est là le ressort de toute l’action sociale entreprise par les quakers depuis la naissance du mouvement, et la lutte pour l’abolition de la peine de mort  physique trouve tout naturellement sa place dans ce cadre. A présent, tandis que le mouvement abolitionniste enfle aux Etats-Unis, les Amis s’associent à d’autres mouvements ou Eglises, comme ils l’avaient fait pour l’abolition de l’esclavage des Noirs au XIXème siècle. Ils sont actifs, entre autres, au sein de la Religious Organizing Against the Death Penalty Project.

 

http://www.deathpenaltyreligious.org/resources.html#section1

Jeanne-Henriette Louis    juillet 2005.

Bibliographie

Il n’y a pas de livre en français sur ce sujet. On pourrait trouver des informations disparates dans les publications de l’Assemblée de France, l’Echo des Amis, ou  la Lettre fraternelle, ou encore dans la correspondance de Annette Leyris, classée dans les Archives de l’Assemblée de France, consultable au Centre quaker international de Paris.

Je remercie Gretchen Ellis de m’avoir  aidée à trouver de la documentation pour le présent article.

[1] Marjorie Jones, “ Friends’ contribution to penal reform”, The Friends Quarterly, avril 1985.

[2] Daniel Boorstin,, Histoire des Américains coll. Bouquins, Robert Laffont ed., 1991, vol.1, p.52.

[3] Marjorie Jones, “ Friends’ contribution to penal reform”, The Friends Quarterly, avril 1985.

[4] Quaker Faith and Practice  1995,  23.96.

[5] Quaker Faith and Practice  1995,  23.97.

[6] Lettre de Annette Leyris, membre associée de l’Assemblée de France, à la Présidente de l’Association française contre la peine de mort, 4 novembre 1980.

[7] George Fox, Journal de sa vie, de ses voyages, de ses souffrances et de ses expériences chrétiennes, traduit de l’anglais en 1962, Société religieuse des Amis (Quakers), 114 rue de Vaugirard, 75006 Paris, p.11.

[8] Henry van Etten, George Fox et les quakers, éditions du Seuil, 1956, p.18.

 

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